Innover ou mourir, le dilemme de l'innovateur a-t-il tué Kodak ?
“Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître”. Ainsi la chanson populaire de Charles Aznavour commence-t-elle.
Ce temps, c'est celui des magasins de photographie, véritables temples consacrés à quelques marques dont la marque phare Kodak. Cette entreprise américaine a bâti durant le 20ème siècle un véritable empire de la photographie. Elle fournissait au consommateur l'intégralité de ses besoins en la matière : appareils photo, pellicules, papiers, accès aux laboratoires de développement. En bref, tout ce qui était nécessaire à nos grands-parents pour se souvenir de leurs vacances ou des fêtes passées en famille.
Fondée par Georges Eastmann à la fin du 19ème siècle, Kodak a été dès sa création, une entreprise moderne. Elle avait compris bien avant les autres, la richesse du business model associant produits et consommables. Capitalisant sur un écosystème d'appareils photo qu’elle avait elle-même créé, elle dégageait d'énormes profits en vendant des pellicules photo à très fortes marges.
A la fin des années 20, elle avait aussi fusionné avec une entreprise française en pointe dans le film cinématographique, celle de Charles Pathé. Kodak s’était alors hissée au statut de géant international de l’image et du cinéma !
Qu'est-il arrivé à cette entreprise qui comptait plusieurs dizaines de milliers de salariés et plusieurs milliards de dollars de chiffre d'affaire ?
Elle n'a pas su prendre le virage de la révolution numérique, me direz-vous ? C'est à moitié vrai et à moitiéfaux.
Steve Sasson, alors jeune ingénieur du département R&D de la société Kodak, avait mis au point dès le milieu des années 70 un prototype d'appareil photo numérique à partir de capteurs CCD. Son invention a même été protégée par un brevet ! Par ailleurs, Kodak avait dans les années 90 mis sur le marché des produits utilisant la technologie numérique. Alors pourquoi l’entreprise n’a-t-elle pas réussi à imposer ses solutions numériques ?
Elle a été la victime probable du Dilemme de l'Innovateur. Ce concept a été popularisé par Clayton Christensen. De prime abord il est contre-intuitif :
“Plus vous êtes un bon manager dans votre entreprise moins vous êtes capable d’introduire une innovation sur le marché...”
En effet, un bon manager - formé dans les meilleurs écoles de commerce et d’ingénieur - privilégiera toujours les produits que ses clients actuels attendent, qui sont performants et qui possèdent une forte marge. Or bien souvent les innovations et les produits naissants n’ont aucunes de ses caractéristiques. Ils sont donc impossibles à promouvoir dans l’entreprise. Les cribles d’analyse utilisés, comme les études de marché ou le travail d’un département Marketing les verront toujours comme des gadgets sans avenir !
Revenons à la photo numérique. Quand il était possible de réaliser des photographies particulièrement belles avec la photo argentique, les capteurs numériques étaient de bien piètre qualité ; leurs prix étaient très élevés. Les premiers modèles coûtaient plusieurs dizaines de milliers d'euros. Ils étaient produits à faible volume. Par conséquence, la marge brute qu’on pouvait en espérer était très faible. Plus encore, comment imaginer fournir des appareils photos numériques quand personne n'avait d'écrans pour les voir, de disques durs pour les stocker ou d'ordinateurs pour les retravailler ! Les patrons de l'époque ont donc probablement considéré que c'était une mauvaise idée que d'investir dans cette nouvelle technologie. A contrario, ils ont augmenté le budget de communication pour promouvoir leurs produits existants fondés sur une technologie du siècle passé.
Le dilemme de l’innovateur existe dans toutes les entreprises. Je crois qu’il est encore plus exacerbé dans les grandes entreprises où une majorité de collaborateurs n’ont pas pour fonction d'être sur le terrain au contact des clients et du marché. Car une fois sur le terrain, il est beaucoup plus aisé de comprendre les usages potentiels des nouvelles technologies ou l'intérêt qu'elles pourraient susciter. Comment comprendre si un nouveau produit peut en remplacer d’autres en restant assis sur sa chaise derrière son bureau ?
Ainsi, pour éviter ce syndrome, je vous recommande d'aller sur le terrain, pour rencontrer vos clients et vos prospects, et de ne pas sous-traiter entièrement à la force commerciale les contacts externes.
Le dilemme de l'innovateur était le livre de chevet de Steve Jobs, le patron charismatique d'Apple. Jobs avait une peur bleue de voir son entreprise supplantée par une startup. On comprend mieux pourquoi, alors qu’il avait imposé l’iPod comme le baladeur numérique leader, il n'a pas hésité à mettre sur le marché un téléphone révolutionnaire qui remplace dans nos poches ces mêmes baladeurs. Quelle vision ! Quel courage !
Espérons que nous saurons tous - nous aussi - trouver le courage pour prendre de telles décisions !
Merci pour vos commentaires
PS : Le 19 janvier 2012, Kodak dépose le bilan. Kodak et ses filiales américaines ont alors demandé à bénéficier de la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites.
Selon Reuters, “Eastman Kodak a conclu avec ses créanciers obligataires un accord de financement qui pourrait permettre à l'ex-géant de la photographie de sortir de la faillite,
…
L'accord, qui reste soumis à l'approbation de la justice, prévoit 793 millions de dollars de crédits pour Kodak, à condition que la société parvienne à vendre pour au moins 500 millions de dollars (393 millions d'euros) son portefeuille de brevets, qu'il cherche à céder depuis plus d'un an, précise le journal.
Kodak a demandé en janvier à bénéficier de la protection du Chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, afin de se donner le temps de trouver des acquéreurs pour ses brevets numériques. Mais les offres ont été moins intéressantes qu'il ne l'avait espéré. Le pionnier de la pellicule photographique reste en négociations avec Apple et Google.”
PS Bis : Vous pouvez trouver le livre, que je vous recommande vivement, ci-dessous.
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